Architecture : La Maison bleue d’Euclides et Marie DA COSTA FERREIRA à Dives-sur-mer (Calvados, Normandie). Une géographie humanimale

Né en 1902 à Vilarinho, village situé à une trentaine de kilomètres au nord de Porto en 1902, Euclides Da Costa Ferreira émigre en 1924 en France, où il se déplace dans les villages et villes détruites de la Somme, au gré des chantiers où son métier de maçon le conduit. Fixé ensuite à Dives-sur-Mer en 1946 et en emploi salarié fixe à la Cégédur (Compagnie générale du Duralumin et du Cuivre) jusqu’en 1954, il bâtit une modeste maison sur un terrain acheté à côté de la voie ferrée par laquelle arrivent les matières premières destinées à l’usine.

C’est là qu’à partir de 1957 et jusqu’à sa mort en 1984 il édifie, autour de la maison qu’il partage avec Marie, un ensemble de monuments évoquant tour à tour la chienne Laïka envoyée dans l’espace en 1957, la basilique de Lourdes, la Tour Eiffel, Notre-Dame-de-Fatima, le Sacré Cœur, Notre-Dame-de la Délivrande, etc.

Euclides Da Costa Ferreira recouvre également les parois de ce jardin de motifs animaux et végétaux. Plus tard, il fabrique des objets décoratifs venus compléter ses réalisations monumentales ou bien tout simplement orner le jardin (vases, jardinières). Dans sa chambre, décorée de feuilles de catalogues de papiers peints (la chambre de Marie est quant à elle décorée de papiers peints), on peut encore voir la petite charrette avec laquelle il récupère dans les décharges de Cabourg et de Dives-sur-mer des fragments de carrelage, des pièces de vaisselle mises au rebut. Les villas de la Côte Normande (Dives jouxte Cabourg, de l’autre côté du petit estuaire de la Dives), découpées en appartements, contribuent à l’approvisionnement. Les carrelages des salles de bain  détruites deviennent des éléments de mosaïque bleue et émeraude : leur présence marque visuellement sa production à partir de la fin des années 1960. Il fabrique le ciment de ses architectures et de ses objets décoratifs avec le sable des plages voisines, dont la salinité a compromis la bonne conservation. Ces constructions ont attiré des curieux d’« art brut » d’autant que la maison était située en bordure de la route de Cabourg à Houlgate et Deauville.

Que voit-on du travail de cet homme et de celui de sa femme dont les ménages faits dans les villas, le ramassage des pommes ou la plonge dans les hôtels proches, ont aussi permis au couple de vivre ?

De l’ « art brut » comme y invitent les initiatives visant à promouvoir l’art populaire contemporain  ; un morceau de patrimoine : la Maison bleue a été retenue sur la liste des 121 projets qui vont bénéficier en 2019 du Loto du Patrimoine ; mais aussi un singulier assemblage trente ans durant, de brisures qu’un ciment fragile, un œil sûr (de maçon) et une solide mémoire unifie à l’image d’une vie – entre Portugal jamais revu et improbable France industrielle, rurale et balnéaire ; un mode d’habiter – pour le dire avec les mots de la géographie – littéralement mis en forme et en images pour autrui – car il a, selon ses biographes et témoins, voulu qu’on vienne voir son œuvre. Une mise en forme et en images architecturale, artistique, horticole et humanimale.

Car quelque chose d’une « relation [qui] n’est pas tant dans la distinction ou la séparation, ni même dans le lien entre humains et animaux, mais dans le partage d’un temps et d’un espace commun » (Estebanez et al., 2013) est en effet représentée sur ces mosaïques et ces monuments. Ce dont témoignent le mausolée à Laïka, le souvenir photographique des chiens qu’Euclides et Marie ont élevés et qui sont enterrés sous ce mausolée, ainsi que les oiseaux (les passereaux sur les fragments d’assiette insérés ici ou là sur les parois, les ibis de mosaïque bleue), les serpents, les cerfs et autres animaux qui habitent en représentation ce jardin.

Pour en savoir plus sur la Maison bleue :

Le site de l’association : https://sites.google.com/maisonbleuedacosta.fr/maisonbleuedacosta

Claude Lechopier, 2004, Une mosaïque à ciel ouvert. La maison bleue de Dives-sur-Mer. Cabourg, Cahiers du Temps

Et sur la géographie humanimale :

Jean Estebanez, Emmanuel Gouabault et Jérôme Michalon, 2013, Où ont les animaux ? Vers une géographie humanimale. Carnets de géographies. URL : http://www.carnetsdegeographes.org/carnets_debats/debat_05_01_Estebanez_Gouabault-Michalon.php

EUCLIDES
Panneau du fond avec cerfs (derrière, Euclides et Marie Da Costa triaient les matériaux qu’Euclides allait utiliser) ; détails de mosaïque avec représentations de passereaux. Photographies : Jean-François Thémines, 22 septembre 2019 (Journées du Patrimoine)
EUCLIDES2
Portraits de Marie et Euclides Da Costa, reproduits et visibles sur panneau devant la Maison Bleue, lors des visites.

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